Eradiquer l’hépatite C : Mais à quel prix ?

https://blog.afder.org/
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En France, 200 000 personnes seraient touchées par le virus de l’hépatite C (VHC), dont 70 000 ignoreraient qu’elles sont affectées. Si la prévalence et les nouveaux cas d’infection sont plus élevés dans certaines populations (usagers de drogues injectables, personnes tatouées, détenus …),

Que font les associations d’usagers, à l’AFDER nous soutenons les bonnes volontés. la population générale est également concernée en raison de pratiques anciennes d’injections, de tatouages ou le recours passé à des produits de santé contaminés.

Certains évoquent une « épidémie silencieuse », je parlerais plutôt de bombe à retardement, le virus séjournant plusieurs années dans l’organisme avant de déclencher potentiellement cirrhose, cancer du foie… 3 000 personnes en décèderaient chaque année.

Ces données soulèvent la question cruciale du dépistage. Les recommandations émises dans le tout récent rapport sur les hépatites élaboré sous l’égide de l’ANRS (France Recherche Nord & sud Sida-HIV Hépatites) et de l’AFEF (Association française pour l’étude du foie) par le professeur Daniel Dhumeaux pourraient changer la donne si elles étaient suivies par les pouvoirs publics : dépistage des sujets exposés au risque d’infection mais également des hommes âgés de 18 à 60 ans ainsi que des femmes enceintes à la première consultation prénatale (Supplément Science & Médecine du 21 mai).

RÉVOLUTION THÉRAPEUTIQUE

Le paysage de l’hépatite C est en train de changer de manière spectaculaire avec l’arrivée de nouveaux traitements – les antiviraux à action directe (AAD) –, qui nous donnent le moyen d’éradiquer le VHC. La plupart de ces nouvelles molécules ont fait l’objet d’essais cliniques sur un nombre limité de patients (phases 2 et 3). Les résultats montrent chez 90 % des patients la disparition définitive du virus avec des combinaisons n’utilisant plus l’interféron, donc avec une tolérance accrue et des effets indésirables moindres. De plus, la durée nécessaire de traitement est raccourcie à douze semaines. Il est même probable qu’une durée inférieure pourrait suffire et l’ANRS entend mener des études afin de le préciser.

Il n’est donc pas abusif de parler de révolution thérapeutique. Cependant, pour l’instant, nous ne disposons que de données sur l’efficacité virologique, c’est-à-dire la capacité de ces nouveaux médicaments à débarrasser l’organisme du virus. Les AAD pourront-ils également faire régresser la fibrose hépatique et diminueront-ils de façon significative le risque de survenue d’un cancer du foie ? Il est trop tôt pour le dire et l’ANRS investit beaucoup dans la constitution de la cohorte Hépather qui inclura à terme 25 000 participants. Notre objectif est d’étudier dans les conditions de la vie réelle l’impact des AAD.

Quelques compagnies pharmaceutiques possèdent dans leur portefeuille un ou plusieurs de ces nouveaux AAD, ce qui leur permettra de proposer des combinaisons couvrant les différentes sous-familles (génotypes) du VHC. Elles apparaissent donc comme maîtres du jeu pour les deux ou trois années à venir.

Ces entreprises sont engagées dans une rude compétition pour imposer leurs molécules. Celles qui viennent d’obtenir leur autorisation de mise sur le marché ou qui sont prescrites dans le cadre d’autorisations temporaires d’utilisation (ATU), sont proposées à un prix considérable. Leur coût définitif n’est pas encore fixé, mais dans le cadre de son ATU, une de ces molécules coûte environ 50 000 euros pour un traitement complet. Son association à un deuxième AAD pourrait porter le total à 80 000 euros. Qu’est-ce qui justifie un tel montant ?

COÛT DE FABRICATION DE 100 À 250 DOLLARS

Dans le prix d’un médicament entrent en ligne de compte les coûts de recherche et développement (mais ceux-ci sont évalués à 8 % à 12 % du budget des laboratoires pharmaceutiques), les coûts de fabrication et de commercialisation. Une étude publiée en avril a calculé que dans les quinze années à venir, la production de masse des combinaisons de deux ou trois AAD ferait tomber le coût de fabrication pour les industriels dans une fourchette allant de 100 à 250 dollars (75 à 185 euros). En revanche, contrairement aux traitements de l’infection par le VIH qui sont prescrits à vie, les AAD ne sont pris que pendant une durée limitée.

Le retour sur investissement n’est donc pas le même pour les industriels. Si nous acceptons des prix bas dans les pays du Nord, expliquent-ils en substance, il ne pourra y avoir de prix différenciés (moins élevés) dans ceux du Sud. Le laboratoire pharmaceutique américain Gilead a ainsi entrepris de vendre, et cela doit être souligné, le sofosbuvir en Egypte, pays très affecté par l’hépatite C, à 1 000 dollars (735 euros) le traitement.

Ces éléments sont-ils suffisants pour expliquer le coût phénoménal que vont représenter ces nouveaux traitements pour notre système de santé et devons-nous l’accepter ? Dans son rapport, le professeur Dhumeaux propose que la prescription des AAD soit réservée dans un premier temps aux patients ayant un stade avancé de fibrose hépatique (à partir du stade F2).

En pratique, un tiers des personnes vivant avec le VHC répondent à cette indication. Ceci représente environ 60 000 individus à traiter au cours des dix-huit à vingt-quatre mois à venir, soit une dépense de 4,8 milliards d’euros au prix actuel en ATU. Rappelons que le projet de loi de finance de la Sécurité sociale prévoit de réduire le déficit de la branche maladie de 6,2 milliards d’euros en 2014…

« JUSTE PRIX » ET « JUSTE PRESCRIPTION »

Ce que nous avons rêvé d’avoir pour le VIH, nous l’avons à portée de main avec le VHC : un médicament hautement efficace qui est en passe d’éradiquer un virus. Tous les malades chez qui le traitement est justifié doivent être traités. Le prix qui sera accordé aux AAD devrait donc être déterminé en fonction de cette nécessité. Un prix exorbitant placerait les pays riches, comme la France, dans la situation des pays du Sud qui ne pouvaient assumer le coût des traitements contre le VIH avant que la concurrence des génériques ne fasse baisser considérablement leur prix.

S’il faut un juste prix pour les médicaments, nous devons également en tant que médecins balayer devant notre porte. Il faut accompagner le « juste prix » de la « juste prescription », celle qui respecte les recommandations dans un cadre d’évaluations régulières des pratiques. Une réflexion sur une nouvelle coordination des soins incluant les réseaux experts, les médecins spécialistes de ville et les associations de malades doit également être rapidement engagée.

La fixation du prix de ces nouveaux traitements contre l’hépatite C relève d’une solide évaluation technique et surtout d’une décision politique. Le ministère français de la santé doit porter le message du « juste prix » au niveau européen pour le faire partager au sein de l’Union. Le dimanche 25 mai a vu la montée des eurosceptiques dans notre pays, et ailleurs. Que ce combat pour l’égalité à la santé soit un exemple concret qui prouve à ceux qui en doutent que l’Europe n’est pas une construction inutile…

Jean-François Delfraissy, directeur de l’Agence nationale de recherche ANRS (France Recherche Nord & Sud Sida HIV Hépatites)

ource : LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 02.06.2014 à 14h09 •