Toxicomanie : un programme de réduction des risques prometteur

@afder.org
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De très importants progrès ont été réalisés ces vingt dernières années concernant la réduction des risques liés à l’injection de drogues. Les plus spectaculaires concernent la très importante diminution du nombre d’overdoses et une transmission du VIH en très forte baisse. Les programmes d’échanges de seringue et les associations d’usagers ont contribué à ces résultats. Les toxicomanes continuent cependant de souffrir de nombreux troubles qui pourraient être prévenus. 

Patrizia Carrieri et Perrine Roux, chercheuses à l’INSERM, rappellent ainsi sur le site Sero.net que « l’épidémie de VHC reste stable avec près de 60 % des usagers de drogues par voie intraveineuse infectés ». La forte prévalence des abcès veineux demeure également un enjeu important.

En outre, Patrizia Carrieri et Perrine Roux signale les complications propres à l’injection de substances n’étant pas destinées à être injectées. « Par exemple s’injecter de la buprénorphine entraîne des complications cutanées et infectieuses sévères au point d’injection (abcès, cellulites, etc.), des complications qui amènent les usagers aux urgences hospitalières ».
Bras artificielsLa persistance de ces différents risques confirme la nécessité de nouveaux programmes d’accompagnement et d’éducation des toxicomanes, du développement d’outils de réduction des risques plus innovants et plus performants. Déjà, dans certains Centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD), pour prévenir certaines des complications liées à une injection réalisée de manière imparfaite, les consultants peuvent « s’entraîner sur un bras artificiel », rappelait, il y a deux ans, le responsable de la prévention au sein de l’association Aides, Arnaud Simon. « Cela n’est pas suffisant. Ce n’est qu’en s’entraînant sur leur bras que les usagers parviendront à acquérir le bon geste » observait-il cependant.
Un espace dédié et accessible sur rendez-vous pour une injection « accompagnée »Pour répondre aux limites du dispositif actuel, et pour évaluer l’efficacité d’autres approches, Aides, Médecins du Monde, l’INSERM et l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites (ANRS) ont lancé en 2012 un programme de recherche portant sur « l’Accompagnement et l’éducation aux risques liés à l’injection (AERLI) ». Les premiers résultats de ce projet sont dévoilés aujourd’hui à Melbourne dans le cadre de la conférence internationale sur le Sida et sont plutôt prometteurs. En pratique, comme l’explique Patrizia Carrieri et Perrine Roux au site seronet.info, 240 participants volontaires ont été « recrutés » dans 17 CAARUD. Les patients ont été divisés en deux groupes : 113 ont bénéficié d’un accompagnement spécifique à la différence des autres. Le programme d’intervention supposait des séances pédagogiques proposées par des bénévoles formés, des entretiens individuels permettant notamment d’évaluer leurs pratiques et un « soutien » pendant l’injection, réalisée dans un espace dédié, accessible sur rendez-vous. Cependant, les injections continuaient à être pratiquées par les toxicomanes eux-mêmes. Les recommandations et conseils reçus concernaient notamment la stérilité du matériel ou encore la recherche des veines.

Un programme excluant la sphère médicale

Les premiers résultats mettent en évidence au sein du groupe « Intervention », « une diminution des pratiques à risques de transmission du VHC » assurent les deux chercheuses qui notent par exemple que la part de consommateurs déclarant au moins une pratique à risques est passée de 44 % avant l’entrée dans le programme à 25 % six mois plus tard. Autre critère, qualifié de plus objectif par Patrizia Carrieri et Perrine Roux, une diminution significative des complications au site d’injection est observée, passées de 66 à 39 % en un an. Pour les chercheurs à l’origine de ce projet de recherche et pour les associations qui le soutiennent, ces résultats prometteurs doivent encourager les pouvoirs publics à le poursuivre et à le généraliser. « Le maintien de ces interventions permettra d’améliorer les pratiques d’injection et donc de diminuer les complications » affirment Patrizia Carrieri et Perrine Roux. Les deux chercheuses reconnaissent cependant qu’un tel système qui repose très majoritairement sur des bénévoles et sur des « pairs » semble exclure toute référence au corps médical. « Les médecins se sentent dépossédés de leur mission de soignant avec une intervention en milieu très peu médicalisé (…). Cependant, pour voir un passage en grand de cette intervention, la mise en place d’un groupe de travail incluant des médecins sera fondamentale afin de garantir le cadre le plus adapté et le plus efficace pour cette population ». Du côté d’AIDES, on se montre plus empressé que les chercheuses et on appelle à « la mise en place rapide d’un cadre réglementaire autorisant le déploiement de l’éducation aux risques liés à l’injection. Si un tel cadre n’était pas rapidement fixé, AIDES prendra ses responsabilités et fera en sorte que ce nouvel outil de réduction des risques puisse bénéficier à ceux qui en ont le plus urgemment besoin. Lorsqu’à la fin des années 80, l’épidémie de Sida décimait les usagers de drogues par dizaine de milliers, AIDES et d’autres associations n’ont pas attendu l’approbation des pouvoirs publics pour mettre du matériel stérile à disposition des usagers » rappelle ainsi le président de l’association Bruno Spire.
L’ombre des salles de shoot

Bien sûr, ces résultats et ces appels relanceront probablement le débat autour de l’opportunité d’ouvrir des salles d’injection à moindre risque, même si les promoteurs du projet AERLI se gardent bien d’aborder le sujet et même si leur dispositif n’est nullement identique à ces lieux (notamment en raison de la nécessité de prendre rendez-vous). La controverse renaîtra sans doute en France à la rentrée, puisque Marisol Touraine a confirmé qu’elle souhaitait que sa loi de santé permette l’expérimentation de ces centres d’injection supervisés. Toujours est-il qu’à Melbourne la réduction des risques demeure toujours un sujet central, comme en témoigne la présentation de ces résultats français, et de plusieurs autres concernant des dispositifs proches ou similaires à des salles de shoot mis en place à travers le monde, et notamment à Sydney.

AH

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