Trauma, addictions, et santé mentale dans la communauté harkie.

Être harki continue d’être un stigmate, malgré la connaissance que les enfants ont aujourd’hui, de l’histoire de leurs parents. Cet article va explorer les troubles du comportement, les blessures psychologiques des harkis, et enfin les psychothérapies adaptées. Si l’image des harkis en France est peu reluisante, en Algérie cette image est déshumanisée, diabolisée… tout cela constitue un facteur de souffrance psychologique supplémentaire. 

Les principaux troubles observés chez les harkis et leurs enfants se traduisent par de la honte, de la culpabilité, des sentiments de peur et de terreur, des souvenirs traumatiques, des cauchemars, des périodes sensibles au moment des dates anniversaires du traumatisme, une grande irritabilité allant parfois jusqu‘à de l‘agressivité incontrôlée… Il y a le problème de l’identité, « avoir le cul entre deux chaises » celle de traître, de collabo aussi bien de la part des algériens que de la part des français … Mais tous les harkis n’ont pas du sang sur les mains. Chez les enfants de harkis, il y a deux périodes critiques. Très jeune, on note des problèmes scolaires, des difficultés à lire, à écrire et à parler le français, des problèmes de honte liées à leur histoire, une perte de la capacité de concentration. A l’adolescence, on observe des comportements à risques, le sujet s’engage de façon presque répétitive dans des conduites comportant un danger mortel (toxicomanie, alcool, et autres addictions, holdup-up, vols, violence …) 

Dans une approche classique, les psychiatres et psychanalystes considèrent que le traumatisme actuel va réveiller un conflit ancien qui lui est structurel et constitutif de chaque personne. Ceci explique pourquoi très peu de harkis suivent une psychothérapie. Ils consultent un médecin pour des douleurs, des insomnies ou des angoisses mais très rarement pour évoquer leurs traumatismes psychiques liés à la guerre d’Algérie ou au vécu dans les camps. Dans ce contexte, peut-on envisager un traitement spécifique ou psychothérapie adaptée? Ayant accompagné des enfants de harkis, je suis tombé un jour tombé sur les travaux du Dr K.D BOUNEB.

Une psychothérapie adaptée 

L’objectif de la psychothérapie en général est de comprendre et de surmonter la souffrance psychique. Le pouvoir destructeur des blessures n’est jamais totalement mortel, il reste toujours quelque chose d’intact qui permet de repartir et de revivre. Le travail de la psychothérapie consiste à transformer chez le patient ce qui a été à l’origine de la blessure (traumatisme de guerre, viol, accident…) Tout soutien psychothérapique est utile pour aider les harkis.  Mais une psychothérapie adaptée qui tient compte à la fois du contexte historique, de la culture et de la personne elle-même est préférable et se révèle beaucoup plus efficace. Cette approche permet de comprendre le sens de la souffrance de la victime. Les mécanismes de défense sur le plan psychologique sont beaucoup plus souvent le déni et le clivage que le refoulement et la sublimation. Le patient n’est plus considéré comme un simple cas clinique réduit à son symptôme qui va subir des séances de thérapies interminables ou qui va devenir assujetti, dépendant des médicaments psychotropes prescrits par les médecins. Au contraire, le patient va être vu comme un véritable sujet avec ses multiples facettes, il va devenir acteur privilégié de sa propre guérison. Cette démarche privilégie donc l’humain avant le symptôme, elle replace le patient dans son contexte historique, culturel et spirituel en prenant en compte le système thérapeutique de son propre groupe humain. 

les personnes les plus en souffrance, des groupes thérapeutiques (comme par exemple des groupes de parole, des groupes de psychodrame, l’accompagnement par des pairs-aidants…) permettent de reconstituer des enveloppes psychiques déchirées par le traumatisme et la perte du cadre culturel. Dans ce cas, le groupe est pour eux contenant et sécurisant. Cette technique de groupe est basée sur la méthode cathartique qui consiste à faire revivre chez les patients l’événement traumatisant avec les affects pénibles. Le thérapeute invite les patients à verbaliser sur les problèmes qu’ils n’arrivent pas à dépasser seuls…. Les patients se libèrent émotionnellement, là où il y avait du chaos ils vont mettre un sens, ça va les aider à reconstruire leur vie blessée. Ensuite, avec le soutien du thérapeute et des autres patients, ils peuvent commencer à assumer leur traumatisme. 

Guérir des blessures psychologiques 

Pour conclure, le travail psychothérapique avec les harkis victimes de traumatismes doit être mené sur les affects et aussi sur le mode intellectuel. En plus de sa fonction habituelle, le thérapeute doit avoir une fonction pédagogique c’est-à-dire des connaissances historiques, culturelles pour pouvoir faire la part des choses entre le vécu et l’imaginaire du sujet et les faits historiques. Ces supports culturels spécifiques sont importants pour permettre une bonne prise en charge psychologique. 

Les groupes thérapeutiques pour les personnes en grande souffrance ont montré leur utilité à condition d’être animés par des thérapeutes compétents et formés. Les groupes de paroles en 12 étapes comme les Alcooliques Anonymes, Narcotiques Anonymes ou autres, sont très efficaces pour les problèmes d’addictologie générale. Les associations d’entraide comme par exemple l’Afder www.afder.org sont sur le terrain pour accompagner les personnes ayant des troubles de santé mentale, addictions, dépendance…Ainsi que leurs proches et proposent de partager leur expérience aux professionnels de santé. Le traumatisme a été transmis aux enfants avec des conséquences graves en terme de confiance en soi allant parfois jusqu‘à une déstructuration ou à une psychopathologie plus lourde. Cet aspect doit être également pris en compte lors des psychothérapies avec les harkis. 

La psychothérapie adaptée et  proposée n’est qu’un outil, le but c’est la guérison afin de poursuivre la vie en se servant de son potentiel intérieur et des ressources de son environnement. Elle n’est pas seulement réservée aux seuls harkis mais aussi à toutes les victimes de violences, de tortures, d’attentats, de traumatismes de guerre comme par exemple en Irak, Tchétchénie, Palestine et dans bien d‘autres contrées… La guérison n’est pas la restauration d’un état antérieur d’intégrité, c’est la délivrance d’un mal. En aidant la victime à vivre en dépit du mal qui lui a été fait, cela va lui permettre de se réintégrer dans son milieu et dans la société globale.  

Souhaitons que la société française accorde une place digne aux harkis aussi bien dans la réalité que dans la mémoire collective. Souhaitons aussi que la France et l’Algérie établissent des relations harmonieuses sans tabou au sujet des harkis. 

Dr K.D BOUNEB,  Anthropologue, psychanalyste, 

Mahidine BOUCHAABA Médiateur de santé-pair

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